Hommage posthume

Je viens de recevoir une missive de Monsieur Ernest Desseille, beau-frère des fils de feu Etienne Le Petit. Je suis conviée à une manifestation qui se déroulera à la mairie de Boulogne sur Mer le 10 juin 1868 à 14 heures. Je dois apporter ma meilleure plume. Je reste sur ma faim, que vont-ils m’annoncer ?  Ma meilleure plume ! Ai-je l’habitude de négliger mon travail ? Bon enfin ! J’ai trois jours pour préparer mon voyage. Je fonce vers ma chambre et ouvre ma garde-robe. Que vais-je mettre pour cet événement. Les tenues s’amoncellent sur mon lit. Je finis par tomber sur une robe vert amande un peu trop décolletée pour l’occasion, ce n’est pas grave, Monsieur Bourgeois, mon tailleur attitré, aura vite fait d’y ajouter un plastron en dentelle.

Comme à mon habitude j’ai pris une place dans la diligence qui va de Calais à Boulogne par la côte. Célina Le Petit m’a invité à descendre chez elle une journée avant la réception. Il est encore tôt, le soleil caresse encore les champs à l’opposé de la mer. Très peu de vent, les flots sont calment, quelques bateaux naviguent en toute quiétude. Les villages traversés sont animés par les vendeurs de poisson à la criée. Les enfants sont à l’école, quelques récalcitrants trainent dans les rues à la poursuite d’un légendaire pirate. Je mets la tête à la fenêtre et emplis mes poumons de cet air vivifiant. Encore quelques kilomètres et je suis arrivée. L’omnibus s’arrête à la porte de la vieille ville à même pas 100 mètres de la demeure des Le Petit. Célina et sa belle-sœur Joséphine m’attendent sous l’abri, une servante les accompagnent. Elle récupère mes bagages. Bras dessus, bras dessous nous nous dirigeons vers la demeure. Les trois frères, leur épouse et leurs enfants contribuent au brouhaha général. Les plus jeunes ont été confiés à une nourrice. Joseph, Eugène, Hector et leurs fils viennent me saluer. Célina rejoins sa sœur Geneviève au petit salon où se trouve également Laure la femme de Gustave, Eugénie, Julia, Blanche et Angélina.  La servante me conduit à ma chambre et m’aide à vider ma valise. Je descends rejoindre ces dames. Marie Françoise, l’épouse d’Ernest Desseille et cousine éloignée des sœurs m’adresse un large sourire. Elle m’informe que vers 17 heures son époux viendra me rendre visite. Il a des choses à me dire. Pour le repas du midi une grande table a été dressée dans la cour, une enfant d’une quinzaine d’année est venue seconder la domestique. Des mets divers et variés nous sont servis, l’ambiance est bon enfant et festive. Pour calmer les esprits et s’aérer, toute la famille sort faire le tour des remparts. Je me déplace de groupe en groupe le sourire aux lèvres et l’oreille aux aguets. Dix sept heures sonnent au clocher de l’église, je me dépêche de rentrer. Ernest, m’attends dans le petit salon. Il éteint son cigare et crante la fenêtre. Il me prie de m’assoir, avance un siège face à moi et commence.

Courrier de Monsieur Alphonse Thiers à Monsieur Etienne Le Petit en 1842

« En 1842 Alphonse Thiers, brillant avocat et homme d’état demande, par courrier, à Etienne Le Petit de lui prêter les documents qu’il a en sa possession sur l’aménagement du port de Boulogne sur Mer. Vous n’êtes pas sans savoir que notre cher Etienne est arrivé dans la région avec Napoléon Bonaparte et qu’il a contribué aux préparatifs de la guerre contre l’Angleterre qui, du reste, n’a pas eu lieu. L’empereur est parti conquérir d’autres territoires et Etienne s’est installé chez nous.

Des questions me brulent les lèvres mais je le laisse parler.

Etienne a donc envoyé tout ce qu’il avait à cet homme. Les années ont passé, rien n’a été restitué. Il y a quelques semaines, je discutais avec Monsieur Félix Ribeyre biographe de Cham quand celui-ci m’a rappelé que Monsieur Thiers n’avait pas restitué les papiers à la famille. J’ai donc écrit à Monsieur Jules Goshler le secrétaire de Monsieur Thiers. Quelques semaines plupart j’ai reçu une réponse : Monsieur Thiers offre à chacun des fils d’Etienne un exemplaire des livres qu’il a écrit : « L’histoire du Consulat » en trois volumes. La librairie Lheureux, éditeur des ouvrages de Thiers, en a fait parvenir trois exemplaires à la mairie et ce sont ces livres que nous allons offrir à ces messieurs demain à l’hôtel de ville. Mademoiselle Rose, je vous croyais plus volubile ?!

Courrier écrit par le secrétaire de Monsieur Thiers mais signé par lui

  • Mais Monsieur Desseille, je buvais vos paroles ! Oui, j’ai quelques questions : Pourquoi Etienne ne les a pas réclamés ?
  • C’était un homme discret qui n’a, je suppose, pas voulu déranger ce grand Monsieur.
  • Que contenait cet envoie ?
  • Des plans de l’aménagement du port de Boulogne et de Wimereux, des toiles de ce même lieu faites par notre cher Etienne et des documents sur la flottille en construction il me semble.
  • Dommage qu’il ne fût pas associé à ce projet de son vivant.
  • Bien sur mais je crois que se sera un grand honneur pour ses enfants.
  • Ne pensez-vous pas que Monsieur Thiers ou l’un de ses proches devrait être présent ?
  • Les puissants ne se mêlent pas aux petites gens même si elles sont honorables.
  • Vous avez raison Monsieur Desseille. Demain sera un grand jour.

J’ai rejoint les dames dans le petit salon, Ernest partis vers l’antre des hommes.

La matinée de ce 10 juin passa rondement, un repas rapide nous fut servi, nous avons tous regagné notre chambre pour nous préparer. Les deux servantes ne savaient plus où donner de la tête : toutes ses dames à aider à s’habiller. Pour être prête à l’heure nous étions obligées de nous entre-aider. A 13 heures 30 nous étions tous devant la mairie. Messieurs Desseille et Ribeyre en maitre de cérémonie conduisent toute la petite troupe dans l’un des grands salon. Sur un table dressée pour l’occasion les livres trônent. Un exemplaire de la lettre de Monsieur Thiers à Monsieur Le Petit et divers autres objets de l’époque viennent compléter l’ouvrage. Monsieur Eugène Livois maire de la ville s’est rendu disponible.

Ernest Desseille appelle un a un ses beaux-frères et amis et leur remet de façon solennelle ces ouvrages qui rappellent au Boulonnais la contribution de leur père à la grandeur de cette ville. Monsieur le maire convie la famille dans une autre salle où boissons et petits fours les attendent.

Les enfants d’Etienne Le Petit (1785-1849) et Joséphine Bernard (1796-1878)

  • Joseph (1816-1875)
  • Joséphine (1818-1871)
  • Eugène (1820-1901)
  • Hector (1838-1907)

Les enfants de Joseph Le Petit et de Célina Desseille

  • Gustave (1841-1905)
  • Eugénie (1842-1919)
  • Julia (1844-1906)
  • Georges (1846-1904) ancêtre de Catherine
  • Blanche (1856-1944)

Les enfants de Eugène Le Petit et Geneviève Desseille

  • Edgar (1849-1918)
  • Louise appelée Angélina (1853-1929)

Enfants encore vivant en 1868. Les arrière-petits-enfants étaient trop jeunes pour participer à cette histoire.

Revenons à la réalité. Les livres leur sont parvenus par courrier à leur domicile.

Lien vers Geneanet

Monsieur Félix Ribeyre biographe de Cham : Amédée de Noé, dit Cham, est né à Paris le 26 janvier 1818 et y est mort le 6 septembre 1879. Dessinateur et caricaturiste de grand talent, il collabora de nombreuses années avec «Le Charivari » et «L’Illustration». Une personnalité comique et joyeuse, une capacité de travail peu commune et une imagination féconde, lui ont permis de s’intégrer facilement à la vie parisienne des années 1840 à 1870. Il cotoyait les plus grands artistes et les principales célébrités de cette moitié du XIXe. Il n’existe, à ce jour, aucune bibliographie complète des oeuvres de Cham. Son activité artistique a été si féconde qu’un volume de 500 pages ne suffirait pas à référencer les milliers de dessins qu’il a produit. Comment un tel prodige a-t-il pu être autant oublié ! La seule et unique biographie sérieuse jamais écrite est celle-ci. Félix Ribeyre la publia en feuilletons dans le Figaro juste après le décès de Cham et Plon en donna un volume en 1884. Depuis cette époque, elle ne fût jamais rééditée. Cette édition est illustrée d’une vingtaine de planches et fac-similés de lettres manuscrites. Le portrait de couverture, un cliché de Ferdinand Mulnier, est extrait de la Galerie contemporaine des illustrations.

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