La dentelle de Nottingham à Calais

par Mademoiselle Rose

I – Le loddisme à Nottingham

Spencer PERCEVAL

Nous sommes le 12 mai 1812, hier, le premier ministre britannique Spencer PERCEVAL a été assassiné par un luddiste de Liverpool. Ce matin, sous une pluie battante, j’ai pris le premier vapeur au départ de Calais, la houle faisait tanguer le navire, agrippée à mon siège, je ne pouvais que réfléchir. Je ne me rends ni à Londres ni à Liverpool mais à Nottingham où les ouvriers fêtent la mort du premier ministre par des chants et des danses. Pourquoi tant de haine, j’ai bien lu que l’Angleterre subit une grave crise économique mais quels sont les tenants et les aboutissants ? Arrivée à Douvres je me dirige vers l’arrêt des diligences. Le temps est toujours aussi exécrable, le printemps nous joue bien des tours.  Dans la voiture qui m’emmène à Nottingham, je consulte différents journaux malheureusement mes connaissances dans la langue anglaise ne me permettent pas de tout comprendre. Je verrai sur place.

représentation des Luddistes

De ma chambre d’hôtel, j’entends les chants et les cris de joie des ouvriers. Je descends et me mêle à cette foule. La chance est de mon côté, l’accent de cet homme me fait penser qu’il est Français d’origine. Et bien oui, Georges MARTIN a suivi sa belle Hannah dans les faubourgs de Nottingham. J’accepte de partager leur repas, j’ai apporté quelques spécialités françaises que j’aurai plaisir à donner.

Hannah s’affaire aux fourneaux, Georges m’explique que les émeutes ne datent pas d’hier, elles ont commencé 12 ans plus tôt, le prix des denrées alimentaires était bien trop élevé, la famine échauffait les esprits et durant quatre jours les réserves ont été pillées, les soldats étaient impuissants. L’année dernière, le mouvement Luddiste du nom de Ned Ludd son leader démarre à Nottingham après la mort de John WESTLEY le 10 novembre. Les artisans accusent les propriétaires des manufactures de favoriser le chômage. Cagoulés, de nuit, les luddistes détruisent les machines, matières premières et matières finies pour éradiquer cette industrialisation qui leur vole leurs emplois. La répression est sans pitié, des peines de prison, de bagne et même de mort sont prononcées. Des primes sont même décernées à ceux qui livrent un luddiste. L’assassinat du premier ministre en est le résultat.

Georges et Hannah travaillent dans une manufacture de tulle, une de celles qui sont visées par les luddistes. Ils sont très pauvres, la surproduction dévalorise leur salaire, les victuailles offertes par mes soi-disant parents Français à un Français sont appréciées. Après, un bon repas Georges se laisse aller à la confidence. Des fabricants de tulle prépareraient en grand secret la traversée du chenal pour s’installer en France.

Galant, Georges insiste pour me raccompagner à mon hôtel, j’accepte avec empressement, les rues ne sont pas sures pour une femme. A la porte de mon hôtel nous échangeons nos adresses en nous promettant de nous écrire.

Après une bonne nuit de sommeil, un petit déjeuner anglais je décide de visiter Nottingham. Je hèle un coche. Il m’emmène voir les lieux touristiques églises, château, rues pittoresques mais ce que je veux voir ce sont les quartiers ouvriers de la ville. Après une vive négociation et une rétribution sonnante et trébuchante il me mène vers les faubourgs. Plus on s’éloigne du centre ville plus les maisons sont délabrées. Le cocher s’arrête, il ne veut pas aller plus loin. Il me fait descendre et me montre le décor. Nous sommes sur une petite hauteur et, à perte de vue, barraques faites de bricks et de brocs forment un gigantesque bidonville. Ces pauvres gens n’ont plus rien, ils n’ont plus rien à perdre et nous serions des proies faciles.

Le cocher me ramène à bon port, je lui offre une babiole, souvenir de France et remonte dans ma chambre le cœur lourd. Demain je retourne chez moi mais je n’oublierai pas d’écrire à Georges et Hannah.

II – Correspondance de 1813 – 1814

Georges et moi échangeons une correspondance régulière. Nous parlons sur un peu tout, le temps, les saisons et surtout sur les évènements de chaque côté du chanel.

Le premier juillet 1813, J’ai rendu visite à ses parents, de vieux maraichers installés dans les marais de Saint Omer. Sur une barque à fond plat, ils m’emmènent au fil de l’eau. Pour l’occasion, ils se sont endimanchés et moi aussi, Marie et moi arborons nos ombrelles faites de dentelles aux fuseaux. Il fait très beau, le soleil brille, une douce brise fait frissonner la surface de l’eau. Des parcelles de terre couvertes de légumes se succèdent dans ce labyrinthe de canaux, les maisons, nichées dans la verdure sont entretenues mais l’argent manque, ça se voit. Hector et Marie sont trop âgés pour entretenir leur parcelle, ils la louent au petit Jean un enfant du coin contre les légumes nécessaires à leur subsistance. Petit Jean est encore trop jeune pour être recruté par l’armée de l’empereur. De plus, il ne fera pas un bon soldat avec son pied bot.

A peine rentée, dans une longue lettre je lui explique mon périple chez les Audomarois, les recommandations de ses parents, la guerre incessante de Napoléon BONAPARTE contre « le reste du monde ». Je lui parle des victoires et des défaites de notre empereur, de Calais et ses odeurs de poisson, de Saint Pierre les Calais et ses champs, ses jardins potagers, je lui parle du manque de travail, de la pauvreté qui existe aussi en France, de mon emploi de vendeuse chez Melle BONNET corsetière et de mes articles que les bonnes mœurs et l’intransigeante suprématie masculine m’empêchent de publier.

Cela fait de long mois que Georges ne m’a pas écrit, je guette le facteur à chacun de ses passages.

Métier BODIN

Cette dépêche tant attendue arrive enfin. Après les excuses de rigueur Georges m’expliquent qu’après une grossesse difficile Hannah a donné naissance à un beau petit garçon nommé Michel, Hector, Georges. Je suis émue aux larmes, Michelle est mon second prénom… Arrêtons le sentimentalisme. La tension s’est apaisée à Nottingham, les patrons ont augmenté les salaires. Bien entendu il y a des incorruptibles qui continuent la lutte à travers tout le pays mais la répression est toujours aussi impitoyable. Georges, quant à lui, à l’aise dans le maniement du métier HEATHCOAT travaille maintenant sur le métier LEAVERS. Ce métier permet de faire un tulle de meilleure qualité. Son salaire est a la mesure de ses compétences, il peut même prétendre à changer de logement. Son patron Robert WEBSTER, le tiens en grande estime, il lui a même demandé de lui apprendre le Français. 

Ces bonnes nouvelles me rassurent, Georges, Hannah et Michel vont bien, leur vie s’améliore, le danger s’éloigne. C’est bien mais pourquoi cet Anglais s’intéressent  à la langue Française ?

III- la lettre qui change tout

Durant toute l’année 1814, dans nos courriers nous parlions du petit Michel, des vieux parents de Georges, de ma patronne qui me laissait plus de liberté pour me consacrer à mes articles et un peu des évènements de nos pays respectifs. Hannah voulait pouvoir converser avec moi à notre prochaine rencontre, elle apprenait le français avec difficulté mais persévérance. Nous étions devenus de vrais amis.

Robert WEBSTER

Ce 15 octobre 1815, la lettre de Georges m’annonce une nouvelle qui risque de changer les choses. Son entière confiance me touche. Cette année fut très dure pour les ouvriers des manufactures de tulle, la surproduction, le protectionnisme, les taxes douanières font s’écrouler cette industrie, le chômage augmente, la pauvreté revient au galop. Le patron de Georges, Robert WEBSTER et ses associés James CLARCK et Richard BONNINGTON ont pour projet de faire passer un métier démonté en contrebande. Calais est la ville la plus proche de l’Angleterre, c’est là qu’ils veulent s’installer. Georges arrivera à Calais début novembre, il doit acheter un immeuble pour ses patrons.

La neige est tombée une bonne partie de la nuit, le vent est glacial, devant la gare maritime j’attends Georges. Je suis gelée, je claque des pieds pour me réchauffer, mes mains enfoncées dans mon manchon sont bleuies par le froid. Nous sommes le 10 novembre. Dans la foule je reconnais le bonnet de Georges qu’Hannah lui a amoureusement tricoté. Après les salutations d’usages, je le mène vers une pension de famille réputée. Ce soir, nous allons diner chez ma patronne Melle BONNET. Elle a un petit appartement au dessus de sa boutique. Dans la pièce principale une grande cheminée où brulent des buches bien sèches, deux fauteuils confortables de chaque côté, un buffet sans âge, une table et 4 chaises, des bibelots, des napperons donnent chaleur et confort, une cuisine de la taille d’un mouchoir de poche et une chambre confortablement équipée complètent le décor.  Avec l’autorisation de Georges, j’ai mis Melle BONNET dans la confidence. Tout en cuisinant elle écoute notre conversation, elle vendrait bien des articles en tulle bien moins chers avec la mécanisation. J’explique que ces derniers jours je me suis renseigner sur les immeubles à vendre, j’ai trouvé une grande bâtisse dans l’artère principale de Calais rue Royale. Demain, je l’accompagnerai voir le propriétaire. Melle BONNET est bonne cuisinière avec deux patates et un morceau de lard elle fait un festin. Durant toute la soirée la discussion tourne autour du petit Michel, du projet de ses patrons, de la vie à Calais. L’accent de Georges nous fait bien rire. Il est bien tard, nous prenons congé de Melle BONNET, Georges me raccompagne à mon appartement et regagne sa pension. Nous nous donnons rendez-vous à 11 heures. J’ai du mal à m’endormir, trop de pensées me submergent.

Plan en 3 D de Calais

A 11 heures précise nous sommes devant l’immeuble à vendre mais après la visite, Georges préfère un immeuble situé en périphérie, il ne veut pas attirer l’attention. En coche, je lui fais visiter la ville et ses monuments. Il est bougon, les routes sont impraticables avec cette neige, il ne peut donc pas rendre visite à ses parents. Je lui promets de les voir dès que le temps le permettra. Nous soupons encore en compagnie de cette bonne demoiselle BONNET, aujourd’hui c’est moi qui me mets aux fourneaux, elle est aux anges et entame la conversation avec Georges. elle se fait expliquer le maniement du métier à tulle, de la qualité et du prix de cette étoffe si convoitée. La soirée se passe le mieux du monde, Georges prend congé de bonne heure, il prend le premier vapeur demain matin. je l’accompagne à la porte, il me promet de me prévenir de la date de leur arrivée. Je remonte aider ma patronne à ranger et je rentre chez moi. Je vais en passer des nuits blanches en attendant le courrier de mes amis.

lV- Le jour J

Après des mois d’attente, Georges me fait transmettre un message, une invitation pour l’anniversaire de Michel. Mais mon petit Michel aura 4 ans en automne. Ce message me mets la puce à l’oreille, c’est la date du débarquement Anglais.

Je vis à 10 minutes de la plage, après une semaine de pluie incessante, l’humidité colle à la peau et le vent est frais à cette heure de la nuit, il est dans les 3 heures du matin, je marche dans les ruelles sombres mais je connais le moindre nid de poule  de ces rues. Plus je m’approche de la mer, plus la nuit sans lune se fait couleur d’encre. Ils doivent accoster près la jetée, le phare envoie une vive lueur vers le large, sera t’elle suffisante pour les guider ? Je m’allonge sur le sable humide, j’ai une pensée pour Melle BONNET et le long manteau noir qu’elle m’a prêté. Je me fonds dans l’obscurité et j’attends. 3 heures 45, j’entends le bruit que font des rames dans l’eau et le râle d’un homme à bout de souffle. Encore quelques mètres et ils sont sur le sable. Le phare me permets de voir la plage et ce qui s’y passe, quatre hommes sautent du bateau, des pièces sonnantes et trébuchantes passent de main en main. Des pièces de bois, de grands sacs sont sortis du bateau et posés sur le sol. Un dernier signe de la main et le maître pêcheur fait faire demi tour à son bateau et disparaît dans la masse sombre de la mer.

Le quatrième homme est Georges, il sait que je suis à quelques mètres, il me cherche, me trouve, m’aide à me relever, le manteau engorgé d’humidité pèse une tonne. Nous nous approchons des trois Anglais, Georges me présente à ces Messieurs avec déférence. Gentleman, ils me remercient de mon aide. Je vais les conduire à l’immeuble acheté  par Georges. Des pas sur le sables nous font nous retourner, un homme nous rejoins, c’est le petit Jean qui vient nous aider. Il a bien changé, il a pris en taille et en muscle, un pied bot l’a dispensé de l’armée. Georges et Jean transportent le matériel à dos d’homme, les patrons se chargent des sacs, nous nous mettons en marche, je montre le chemin, j’essaye de leur éviter les pièges de la chaussée mais quelques jurons me prouvent que mes indications n’étaient pas suffisantes. Nous arrivons enfin devant la bâtisse, Georges m’avait laissé une clef, j’ai pu y déposer lampes à  huile et divers outils, malgré  mon refus Monsieur WEBSTER glisse quelques pièces dans la main pour les dépenses occasionnées par ces achats. Je les quitte et rentre chez moi. Un bon thé bien chaud, et je me mets au lit. Dans quelques heures Georges vient me chercher.

 Bien entendu, notre bonne Melle BONNET nous accompagne. Arrivés devant l’immeuble, Georges sort de sa poche une grosse clef qu’il est fier de nous montrer, deux tours plus tard la porte s’ouvre en grinçant. Les pièces sont petites, le métier Leavers que Georges a monté jusqu’au petit matin prend toute la place. Contre le mur des outils, des matières premières sont posés à même le sol. Au premier étage, des paillasses ont été jetées à même la terre battue. Georges et les ouvriers qui doivent arriver prochainement dormiront à ce niveau. Au second ils ont installé un bureau et au troisième ces beaux messieurs se sont installés une chambrée.

Monsieur WEBSTER envoie Georges dormir et nous emmène vers le bureau. Il parle français d’une façon très correcte, je laisse Melle BONNET parler prix d’achat, prix de vente, elle propose même sa boutique pour les premières ventes. Je les laisse discuter, je laisse vagabonder mes pensées,  que vont devenir ces hommes entreprenants ? Vont ils réussir ? 

11 heures viennent de sonner au clocher de Notre Dame, il est temps de prendre congé, Melle BONNET additionne les marques de déférence. De mon côté j’obtiens un rendez-vous avec ces Messieurs pour connaître l’avancée de leur projet.

Un dernier au revoir, un dernier signe de la main et nous nous retournons à la boutique. Melle BONNET, cahier et crayon en main fait ses comptes. Page après page, elle rêve de sa vie future. Quant à  moi, dans quelques semaines, je reviendrai les interviewer. Les clientes se sont succédées tout au long de l’après-midi. Je rentre chez moi fourbue mais tellement heureuse.

Je me mets au lit mais je ne dors pas, mon esprit est occupé par mille pensées. Qu’elles sont les questions que je vais poser à ces Messieurs ?

V – WEBSTER, CLAK et BONINGTON

Cela fait six mois que nos gentlemen sont installés à Calais et bien des choses se sont passées durant cette période. D’autres anglais du Nottinghamshire et du Kent sont arrivés en contrebande les bras chargés de matières premières, de pièces détachées et d’outils. La marée chaussée ferme les yeux sur ce trafique. Louis XVIII a rétabli le libre échange, les droits de douanes sont à nouveau raisonnable. L’Angleterre renonça à appliquer la peine de mort aux contrebandiers.

Ce matin, une calèche vient me chercher, j’ai rendez-vous pour une interview exclusive. J’ai les mains encombrées : mon ombrelle, un sac que Melle BONNET m’a confiée, mes carnets de notes. Le cocher me débarrasse d’une partie de mon fourbi pour je puisse monter dans la voiture. Il pose près de moi le sac de ma chère Melle BONNET. Il prend place fouette l’air fait, les deux chevaux s’ébranlent. Il ne se dirige pas vers l’immeuble de ses messieurs mais  vers Saint Pierre-les-Calais, je l’interpelle, il me rassure ce sont les ordres des « Milords ». Nous quittons Calais par la porte Richelieu, les champs sont encore prioritaires mais de plus en plus de maisons s’y construisent. Nous nous arrêtons devant une maisonnée, juste à côté un bâtiment de grande taille est en construction. Il est bien trop large pour être une maison.

C’est Monsieur Richard BONONGTON qui m’attend sur la seuil de la porte, il m’accueille un joli : Bonjour Mademoiselle mais son accent est désastreux. Nous rentrons dans une unique pièce aménagée avec goût. D’un geste de la main il me propose un fauteuil et rejoins ces associés sur le canapé.

Bonjour Messieurs, comment allez-vous ?

C’est Monsieur WEBSTER qui prend la parole, il faut dire que c’est le seul à maitriser notre langue si difficile à apprendre. 

– Au mieux maintenant. Nous avions pour projet de nous installer dans un espace plus grand pour y faire monter plusieurs métiers à tulle. Les nuisances sonores nous ont obligées à nous installer plus rapidement à Saint Pierre les Calais. Des investisseurs anglais croient en notre implantation et nous aident financièrement.

Je n’avais pas l’impression que cette machine faisait tant de bruit ?

En pleine nuit, quand la ville dort sa nuisance est présente et sa vibration se transmet aux autres bâtisses. De plus, nous en avons installée une à chaque étage. Trois métiers tournent nuit et jour. 

En effet, Georges ne m’en a pas parlé. Mais au fait, ou est-il ?

Il est parti chercher femme et enfant, ils doivent être de retour prochainement.

– Pouvez-vous me parler de l’usine ? combien de machines vont pouvoir y être installées ? Avez-vous des plans à me montrer ?

12 métiers Leavers seront installés au rez-de-chaussée, des ateliers de finition au premier et l’entreposage sous les toits. En France, il est facile de protéger notre travail grâce aux brevets, nous en avons déposés plusieurs ainsi que Messieurs HEATHCOAT et LEAVERS. Nos plans font partis des brevets. 

Comment voyez-vous l’avenir ?

Nous avons des tullistes de qualité qui viennent nous rejoindre pour, par la suite, créer leur propre entreprise. Les Français ont la volonté d’apprendre et de travailler. Nous embauchons des Compagnons, ils font partis de corporations qui forment des ouvriers de grandes qualités. Nos femmes nous ont rejoints et elles aussi transmettent leur savoir aux françaises. Oui cette industrie a de l’avenir.

J’en suis très heureuse. Au fait, Melle BONNET m’a demandé de vous apporter ce sac.

Monsieur BONINGTON prit le sac, le retourna sur le fauteuil près du miens. Un fouillis de froufrous tombe sur le velours.  Goguenard,  il dégage gaines,  culottes, mouchoirs, napperons agrémentés de tulle. Je ne sais plus où me mettre. J’attrape un éventail sur le fauteuil, je m’évente et  reprends assurance. Monsieur WEBSTER, se lève et vient admirer le travail des couturières de Melle BONNET. Les blagues en Anglais échangées entre Monsieur BONINGTON et Monsieur CLARK laissent de glace Monsieur WEBSTER

Très beau travail ! Félicitez ces dames si habiles de ma part. Je contacterai Melle BONNET dans la semaine. Il est 16 heures, voulez-vous prendre le thé en notre compagnie ?

Avec grand plaisir Messieurs.

Rebecca WEBSTER et Mary BONINGTON nous rejoignent, une servante nous apporte le thé. La porcelaine est d’une finesse incroyable, les cuillères sont en argent. De petits gâteaux sont proposés sur un plateau lui même en argent. Je suis admirative devant ce travail d’orfèvre. Plus d’une heure se passe, ces dames s’essayent également à la langue Française, de mon côté j’ai fait de réel progrès grâce à Georges. Je comprends mieux que je ne parle ce qui me permet d’en savoir un peu plus. Rebecca fait appeler une calèche, elle veut faire des emplettes chez Melle BONNET. Je prends congé de ses Messieurs et de Mary.

Rebecca reste silencieuse, j’en suis contente, l’avenir de Calais et de sa dentelle est écrit. Nous rentrons dans la boutique. En quelques minutes, les comptoirs sont ensevelis sous la lingerie, je fais signe à ses dames et m’éclipse. Rentrée chez moi, je m’écroule sur la méridienne et laisse vagabonder mon esprit vers demain…

VI – En route vers le futur

Confortablement installée devant l’âtre, le feu crépite dans la cheminée, les bûches éclatent, des dizaines de flammèches illuminent la pièce, je sens le sommeil me gagner petit à petit.

Je vole à travers le temps et l’espace, je ne suis plus que l’instrument de mon imagination. 1816, 17, 19…

1825 : ils sont neufs fabricants Anglais installés à Calais…

1830 : 113 fabricants dont 65 anglais, 256 métiers 

1838 : FERGUSSON et MARTYN adaptent le procédé JACQUARD au métier LEAVERS

1840 : une machine à vapeur fait fonctionner les métiers, la première est installée chez WEBSTER et PEARSON

De nouveaux métiers voient le jour : remonteurs, l’extirpeurs, wheeleuses, presseurs de bobines, wappeurs pour la préparation du travail

Esquisseurs, dessinateurs, pointer, perceurs de carton, tullistes, mécaniciens pour la fabrication

Visiteuses, brodeuses, teinturiers, raccommodeuses, effileuses, écailleuses pour la finition

Echantillonneuses, plieuses, emballeuses pour l’envoi de la dentelle.

1850, 60, 70, 80, 90, 1900, 2000… 2020

Je me réveille d’un bond, mon coeur bat la chamade, ma respiration est rapide et saccadée, que m’est il arrivé ? Ai-je voyagé dans le temps ou est-ce mon imagination qui m’a joué des tours ? Doucement, je me calme, prends de quoi écrire et confie à mon carnet ce que je viens de vivre. Je me relis. Beaucoup de noms sont anglais, c’est normal puisqu’ils sont venus pas seulement avec du matériel mais avec leurs habitudes, leur vocabulaire. En quoi consiste ces métiers ? Je le saurai surement lors d’un prochain rêve.

VII – Rêve ou réalité

Nous sommes dimanche, 16 heures sonnent à l’horloge, je jette un regard circulaire sur mon appartement, les poussières se sont accumulées, le sol est couvert de résidus apportés de la rue.  Vite, plumeau, seau, balai sont sortis, en moins d’une heure tout est rutilant. Dans la semaine, il faut que je choisisse entre faire le ménage et écrire après ma journée de travail à la boutique, mon choix est vite fait, j’écris. Encore quelques emplettes à faire, un souper léger et au lit. Un sommeil de plomb vient me cueillir à peine la tête posée sur l’oreiller. Au petit matin, je me réveille sans rien de nouveau à raconter. J’avale mon café l’esprit ailleurs, et je me rends à la boutique. Les clientes se succèdent, elles sont indécises et repartent généralement les mains vides, des monticules de froufrous de tout genre s’amoncèlent sur les comptoirs, je n’ai pas le temps de ranger. Comme à son habitude Melle BONNET papote, papote, elle parle pour ne rien dire. D’un comptoir à l’autre, du magasin à la réserve, elle déambule à petits pas vifs, tout en jabotant, elle m’épuise ! Il est enfin l’heure de fermer, j’enfile mon manteau tout en me dirigeant vers la porte, je lui lance un au revoir au seuil et je me retrouve enfin dans la rue. Mes pas me conduisent vers le bord de mer, le bon air frais, le bruit des vagues se fracassant sur la jetée me calment. Dans quelques jours l’automne, l’air et le vent sont plus frais en cette fin de journée, je rentre chez moi.

De quoi écrire dans une main, un thé bien chaud dans l’autre, je m’installe confortablement sur la méridienne. Mes yeux commencent à se fermer, je pose délicatement ma tasse sur le guéridon et laisse Morphée m’emmener. 

Une calèche me dépose devant l’entreprise WEBSTER et PEARSON, comme à son habitude Robert WEBSTER vient à ma rencontre. Ses cheveux sont gris, presque blanc, des rides sillonnent son visage, il a au moins 60 ans ! A quelle époque suis-je ?

A la suite de mon hôte, j’entre dans l’immense bâtisse, le bruit est assourdissant, des dizaines de métiers fonctionnent en même temps, une pléiade d’ouvriers se démène autour de ses monstres actionnés par de puissantes machines à vapeur. Nous sommes vers 1840-42. Nous nous dirigeons vers le bureau, la porte fermée la discussion est à nouveau possible. M. PEARSON vient me saluer, son français est plus que correct. Il me présente également un de leur meilleur tulliste Robert WEST. En quelques mots, il m’explique le gain de temps que leur a fait gagner la modernisation des machines. J’ai tellement de questions à leur poser que je ne sais pas par laquelle commencer.

– Pouvez-vous me parler des métiers de la dentelles ?

– Bien sur, il y a trois étape, la préparation, l’exécution et les finitions. La préparation de la matière première et du métier est faite par le remonteur, l’extirpeur, la wheeleuse, le presseur de bobines et le wappeur

L’esquisseur, le dessinateur, le perceur de carton, le tulliste et les mécaniciens pour la fabrication

Les Visiteuses, les brodeuses, les teinturiers, les raccommodeuses, les effileuses, les écailleuses pour la finition. 

Des teintureries et des blanchisseries se sont ouvertes dans toute la région, les autres professions sont effectuées par des femmes à leur domicile. Les brodeuses travaillent en usine.

VII - Rêve ou réalité

Les échantillonneuses, les plieuses, les emballeuses pour l’envoi de la dentelle

 Les visages de ses messieurs deviennent de plus en plus flous, le bruit s’estompe remplacé par le crépitement des bûches dans la cheminée, je m’éveille le sourire aux lèvres : j’ai de quoi écrire !

Au fil des ans cette industrie va continuer a évoluer et faire vivre des milliers de personnes et, comme toute chose sur terre, périclitera.

Sources :

du-tulle-a-la-dentelle.html

métiers

la-dentelle-de-calais

les-origines-de-la-dentelle-a-calais

histoire-de-la-dentelle-de-calais

J’ai peut-être oublié de noter d’autres sites visités et je m’en excuse.

Une réflexion sur “La dentelle de Nottingham à Calais”

  1. Félicitations! votre récit est vivant, riche, et très bien documenté!
    Je suis native de Calais et je ne connaissais que succinctement l’histoire concernant l’arrivée des machines « leavers » et autres à Calais!
    Tous vos récits sont captivants vous avez un DON!!

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