La veillée funèbre

Il ne fait pas très chaud en ce 6 octobre 1962, le ciel est d’un gris uniforme, pas un souffle de vent pour jouer avec ce ciel compact et nous offrir un camaïeu. Du reste, il a la couleur de l’humeur du jour. Je me rends au 44 rue Martyn à Calais présenter mes condoléances à la famille de Catherine. Sa grand-tante Léonie Bourgeois est décédée à l’âge de 78 ans. Elle vivait depuis quelques mois chez Emile et Marguerite (Margot) Courageux.

Habillée de noir comme il est coutume, je sors de chez moi. Je traverse le parc, prends le Boulevard Jacquard jusqu’à la place D’alsace, la rue des Fontinettes et la rue Martyn. Des tentures noires habillent la façade. Je sonne, une jeune femme, un bébé dans les bras m’ouvre et me conduit au salon. Je serre des mains, présente mes condoléances, me recueille devant la dépouille de Léonie appelée affectueusement tante Ninie. Assise à la gauche du lit Alice et Marguerite les sœurs de la défunte, de l’autre côté Anaïs et Céleste les belles-sœurs. Toutes deux ont connu le même destin, gazés durant la guerre, Fernand et Gaston sont décédés depuis déjà quelques années. Au pied, neveux et nièces veillent à tour de rôle la chère tante. Je reconnais les frères et sœurs de Marguerite Le Petit : Georges, Michelle, Roger, Pierre et Margot qui essaye de faire tenir en place ses cinq enfants. Catherine et là avec son visage bien rond, ses joues rebondies. Pas de crainte, elle m’inventera que dans 60 ans, elle ne risque pas de me reconnaître. Je sais qu’Ernestine et Gaston n’ont pas eu la chance d’avoir des enfants donc, André Bourgeois doit être le fils d’Anaïs et de Fernand. Et ce couple, M. et Mme Troy-Bourgeois ? Cette jeune femme doit être la sœur d’André Bourgeois. Ce n’est pas grave, je vais poser la question à Georges Bourgeois.

Il vient juste de sortir dans la cour, je le rejoins.

« Bonjour Monsieur Bourgeois, comment allez-vous ?

  • Comment voulez-vous que j’aille ? ma tante vient de mourir !
  • Désolée ma question est inappropriée. J’ai su que, grâce à vous, vos tantes ont pu passer du temps avec leur sœur et belle-sœur.
  • En effet, j’ai souvent fait le chemin entre Paris où je vis, Amiens, Saint-Pol-sur-Mer et Calais depuis début septembre.
  • La santé de votre tante s’est vite dégradée.
  • Oui, et elle ne voulait pas appeler le docteur ! Il nous a fallu une bonne dose de persévérance, la venue quotidienne de sa sœur Alice, celle de ma mère et de ses belles-sœurs pour la décider. Michelle, sa nièce, ne pouvait pas s’absenter, elle travaille.
  • Autant de personnes à son chevet a du lui faire prendre conscience de son état.
  • En effet, le 17 septembre, elle acceptait d‘appeler le médecin. C’était déjà trop tard, à cet âge la pneumonie ne pardonne pas. »

Il est rentré, sans un mot de plus, a pris deux enfants dans ses bras et est monté à l’étage. Catherine et Nadine le suivent dans les escaliers. Je n’ai pu lui poser aucune autre question.  Des rires cristallins descendent et lézardent le voile de tristesse. Quelques sourires se dessinent sur les visages. La vie continue, elle sera toujours la plus forte. D’un regard, je fais le tour de l’assistance. Les conversations se font à voix basses. La lueur des bougies éclaire le visage de Léonie. Dure au cœur tendre, elle sera conduite à sa dernière demeure par toute sa famille. Je remercie Margot pour son accueil et part discrètement.

Le vent s’est levé, le soleil pointe parcimonieusement ses rayons au travers d’une abondance de nuages filant à toute allure vers l’est. J’ajuste mon cache-nez, rattrape mon chapeau et reprend le chemin vers mon domicile.

Anaïs et Fernand ont eu deux enfants : André et une fille (Mme Troy-Bourgeois) présents à l’enterrement.

Berthe Huret épouse Durieux, la fille de Berthe, n’est pas citée.

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