Le dernier cadeau à mon Homme

J’ai dû me lever très tôt ce matin, je me rends à Saint Omer, Françoise Cadet veuve Tavernier m’a invité pour me dire quelques vérités sur sa belle-famille. Comme je l’ai expliqué dans l’article « Notre demi-frère Charles Joseph », Charles Joseph Tavernier n’avait que 8 ans quand sa mère s’est mariée à Edmé François Courageux. Il était serrurier comme son beau-père et ses demi-frères. Voyons ce que cette brave dame a à me révéler.

Au bas de ma porte le froid me saisit. Pas de neige en ce 15 décembre mais un vent du nord glacial. La lueur des réverbères se reflète sur le sol recouvert de glace. Le givre n’a pas le temps d’emprisonner le moindre brin d’herbe, il est emporté, il tournoie et vient fondre sur mon visage bleuit. J’avance avec difficulté jusqu’à l’arrêt des omnibus. Le départ est retardé, les roues ont gelé, dans l’atelier ils s’affairent, nous sommes invités à entrer dans le relai, un café fumant nous est servi. Je regarde autour de moi. Je reconnais le fils Desmoulins. Ce n’est pas qu’il commence son week-end dès le jeudi. Non mais ! Ne soyons pas médisante, il est peut-être parti aider un membre de sa famille. Le hennissement des chevaux, le crie du cochet pour calmer ses bêtes me ramènent à la réalité. La porte s’ouvre, un homme emmitouflé jusqu’aux oreilles nous demande de le suivre. Le chemin a été chaotique, même périlleux jusqu’à Saint Omer mais je suis bien arrivée. Au fait, le jeune Desmoulins était attendu par son oncle et non par une Donzère. Ca m’apprendra. J’ai pris un coche pour me rendre au domicile de Madame Tavernier.

C’est une petite femme rondouillarde, ni belle ni laide au fort accent campagnard. Sa famille était originaire de Wismes un petit patelin au sud-ouest de Saint Omer. Elle avait dû quitter le logement au dessus de la boutique qu’elle occupait avec son mari. Elle vit maintenant au rez-de-chaussée d’un petit logement qu’elle partage avec son propriétaire. Elle n’a que deux pièces au rez-de-chaussée : l’espace de vie et la cuisine. Une cuisinière, un buffet, une table, quatre chaises, un lit et une armoire compose le mobilier. Elle me fait assoir à table et me sert une grande tasse de café qui a passé la nuit sur la plaque brulante du fourneau.

« Réchauffée Mademoiselle Rose ? De ce temps de chien, je n’aurai rien dit si vous n’étiez pas venue.

  • Ne vous inquiétez pas Madame Tavernier, ce n’est pas la première fois que je voyage par ce temps.
  • C’est bien gentil de votre part. Pas de Madame, appelez-moi Françoise !
  • Bien Françoise. Quelles sont les vérités que vous voulez partager avec moi ?
  • Mon Charles adorait son beau-père, il l’idolâtrait. C’est bien comme ça qu’on dit ?
  • Oui Françoise ne vous souciez pas de cela.
  • Son père est mort l’année de sa naissance. Sa mère a épousé un certain Louis Carnet mais il est décédé six ans plus tard. Il s’est donc attaché a Edmé Courageux qui lui a vécu jusqu’en 1820. Il a eu six frères et sœurs, il n’y a que les jumeaux Jean Baptiste et Marc Augustin Courageux qui ont survécu. Nous avons eu quatre enfants, le sort s’est acharné sur nous, ils sont tous partis.
  • Ma pauvre ! la vie n’a pas été tendre avec vous. Ces petits êtres naissent mais ne sont pas armés pour la vie, le Seigneur les rappelle donc à lui.

Je la laissé essuyer les larmes qui coulent le long de ses joues et remettre de l’ordre dans ses idées. Elle vient de déverser le contenu de son cœur.

  • Je m’excuse, je ne vous ai pas fait venir pour me lamenter.
  • Pas de souci Françoise, je suis là pour vous écouter.
  • Charles a appris le métier de serrurier avec ses frères et son beau-père. Les jumeaux ont ouvert leur propre boutique aidés par leur parent. Mon Charles est resté ouvrier. Malgré cela il se pliait en quatre pour les aider. Le salaire était un peu supérieur à ce qui se faisait mais ça ne remplace pas l’affection.
  • Que voulez-vous dire Françoise ? Il n’était pas aimé de son beau-père ?
  • Je ne dirai pas cela. Ils ont été là à la naissance et à la mort de nos enfants, ils nous ont soutenus. Ils nous ont aidé à chaque coup dur mais Charles attendait autre chose.
  • Savez-vous quoi Françoise ?
  • Oui Mademoiselle Rose, il voulait être adopté par son beau-père et porter son nom.
  • Lui a-t-il demandé ?
  • Je ne sais pas, je ne le pense pas.
  • Edmé ne pouvait pas le deviner.
  • Bien sûr et mon Charles n’était pas très futé pour les sous-entendus.
  • Je commence à deviner la suite.

Françoise se lève d’un bon, rougit, bégaye quelques mots et se rassit.

  • Oui, c’est moi qui ai donné le nom de Courageux quand mon Charles est rentré à l’hôpital ! Je n’ai rien dit quand son décès a été enregistré sous le nom qu’il aurait aimé porter.
  • Mais ses frères n’ont rien dit ?
  • Ils ont pensé que c’était une erreur de la mairie et ça aurait couté des sous de le faire changer.

Son visage est moins crispé, elle se remémore la scène, le dernier cadeau à son Homme ! Je prends congé, elle m’offre une nouvelle tasse de café que je refuse avec un peu trop de véhémence. Françoise est contente, elle s’est libérée de ce poids, elle est honnête la brave femme.

Je retourne au relais des omnibus, les chambres à l’étage feront l’affaire. Je vais commander un bon repas, rédiger cet article et demain, je rentrerai chez moi.

Cette histoire est inventée de toute pièce, je ne sais vraiment pas qui a commis cette erreur. Les jumeaux étaient souvent cités dans le Mémorial Artésien, journal de l’époque. Charles et Françoise seulement pour l’état civil.

Charles Joseph Tavernier est né le 14/03/1781 à Lillers (62). Il est décédé le 3/12/1831 et a été enterré sous le nom de Charles Joseph Courageux.

Laisser un commentaire