L’héroïque Mademoiselle

par Mademoiselle Rose

Horloge comtoise du XVIIIème

Tic Tac, tic tac ! qu’est ce qu’il fait chaud ! Tic tac, tic tac, mon épaule me fait souffrir. Tic tac, tic tac, il me faut papier et crayon, je vais écrire. Tic tac, tic tac, aucune idée me vient, tic tac, tic tac, et cette pendule !

La porte s’ouvre, une envolée de tissus s’engouffre, Melle BONNET entre dans un flot de paroles, en quelques allées et venues, elle a rangé l’appartement, préparé un repas froid. Elle m’exaspère mais grâce à elle, le temps passe beaucoup plus vite. Elle me raconte sa journée, se plaint encore et toujours de la pauvrette qu’elle a embauchée le temps de ma convalescence, jette un coup d’œil autour d’elle, satisfaite, elle part. Je n’ai pas pu placer une parole. J’avais fait déplacer la méridienne près de la fenêtre pour profiter de l’extérieur mais la puanteur de la rue m’oblige à la laisser fermée. Je vais d’une pièce à l’autre, me passe de l’eau sur le visage, refais le chemin en sens inverse, je n’en peux plus. Ma chambre est la pièce la plus fraiche, je me hisse sur mon lit. Il n’est pas très tard mais cette chaleur m’a assommée. Des élancements dans mon épaule font remonter les souvenirs de mon agression.

Je ne risque pas d’oublier ce 6 août 1840. J’arrive à Boulogne sur Mer par la première diligence, je compte me promener le long de ses remparts, visiter la ville, manger dans une guinguette près du port et farnienter sur la plage. Que nenni !

Arrivé de Wimereux où il a débarqué d’Angleterre dans la nuit du 5 au 6 août, Louis-Napoléon BONAPARTE accompagné d’une poignée d’insurgés traverse la ville. Par cette belle matinée d’été, il y a foule dans les rues et les esprits s’échauffent, des bagarres éclatent, Un homme d’âge mûr est malmené par un individu, je vois le couteau qu’il tient à la main, je ne réfléchis pas une minute et saute sur le mécréant, il se retourne, son visage est déformé par la rage, d’un geste vif il essaye de planter son arme dans ma poitrine, l’intervention d’une autre personne lui fait dévier sa lame qui m’atteint à l’épaule, je m’écroule, la douleur est indescriptible, Je suis conduite à l’hôpital.

Le lendemain, deux messieurs se présentent devant moi. Il s’agit de Monsieur Etienne LE PETIT et de son fils Joseph. Etienne me remercie pour mon attitude héroïque. Non, pas héroïque, folle, irréfléchie mais que je ne regrette pas. A mon tour, je remercie Joseph pour son intervention, sans lui je serais peut être morte à cette heure. Ils m’expliquent que Louis-Napoléon comptait rallier l’armée à sa cause mais ce ne fut pas le cas. Alertés, la police et les militaires interviennent. Ils sont refoulés vers la plage, certains se noient, d’autres seront arrêtés et emprisonnés comme Louis Napoléon. Ils prennent congé en me promettant de revenir le lendemain.

Les infirmières, les médecins parlent avec déférence à ces deux messieurs, je me demande pourquoi et pose la question à la première infirmière qui passe. Il ne faut pas lui demander à deux fois, elle m’explique qu’Etienne, le père, a contribué à l’extension du port en sa qualité de dessinateur dans le génie auprès de l’empereur Napoléon Bonaparte et que son fils est un notable de la ville. Je la remercie chaleureusement. Elle m’installe au mieux dans mon lit et me conseille de me reposer.

Le visage d’Etienne, son port de tête me rappelle quelqu’un ?!! Oui ! je l’ai interviewé en 1805. Il ne peut pas me reconnaitre, je suis une ombre qui traverse le temps…

Les médecins m’autorisent à regagner mon domicile. Etienne et Joseph organisent mon rapatriement dans ma bonne ville de Calais. Etienne me regarde : « vous me rappelez une jeune demoiselle qui, comme vous, n’avait pas peur de s’exprimer » Il se tourne et bougonne : « non ça ne peut pas être elle, elle aurait mon âge et même un peu plus ». Je souris discrètement.

Les derniers jours d’Août si chauds nous font espérer l’automne. Dans peu de temps, j’aurai récupéré et je pourrai retrouver mon emploi et mon écritoire.

Qui sait, ils étaient peut-être là dans la foule ? Quand la fiction côtoie la réalité !

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