Maud la petite anglaise

Un dernier regard sur les documents que j’ai pu collecter sur Maud BELLEW la demi-sœur de Georges LE PETIT. Elle va bientôt fêter ses 88 printemps, elle sent le froid de la mort mordre ses chairs, la coquine ne lui fait pas peur, c’est son tour. Mais elle veut raconter son histoire avant de partir. Sa tante Blanche, la sœur de beau-papa, lui a parlé de mes entretiens avec ses grands-parents Etienne et Célina LE PETIT. Elle s’inquiète de mon âge, de ma santé mais tout le monde la rassure. Je lui rendrai bien visite ce 10 mars 1955 au 213 rue Léonard de Vinci à Calais.

En ce début d’après-midi, comme des enfants, le vent, le soleil et les nuages se livrent bataille. De son souffle puissant Eole disperse stratus et stratocumulus, l’astre céleste darde ses rayons, coquins les cumulo-nimbus prennent possession du ciel. Le printemps est là, il murmure à l’oreille de ceux qui savent l’écouter. Je lui souris et me dirige vers l’arrêt de bus. Dix minutes plus tard, je descends à la nation. Encore une centaine de mètres et je suis devant une petite maison aux volets verts. Je frappe à la porte, une petite vieille toute rabougrie m’ouvre la porte.

 « Mademoiselle Rose ! vous êtes venue ! »

 Elle avait oublié ses craintes. 

« Venez vous asseoir près de moi, j’ai fait une citronnade ».

 Je la suis jusqu’à la cuisine, près de la cuisinière deux fauteuils en osier sont avancés. Le sien, usé, couvert de coussins et de plaid et un second tiré pour l’occasion. Elle s’installe, prend le temps d’ajuster un polochon derrière son dos et une couverture sur ses frêles jambes. Sans un mot elle attrape les verres sur la petite table et m’en sert un. Un moment hors du temps, entre deux gorgées elle me sourit, ses yeux s’illuminent, elle est heureuse. Nous posons nos verres, je vais me taire et la laisser parler.

Ilford à droite dans la banlieue de Londres

« Je suis née en 1867 à Ilford dans la banlieue de Londres, Mon père Patrick Beckett BELLEW est issu d’une grande famille Irlandaise qui a fait allégeance à la couronne britannique. Je n’ai pas eu la chance de le connaître, il est mort en mer en 1869, il était capitaine dans la marine marchande. Maman, Ellen WINT s’est remariée à un Français Georges LE PETIT. J’ai vécu durant trois ans chez ma tante Frances ADAMS. Mon frère Francis et moi avons rejoint Maman et beau-papa en 1873 quand ils se sont installés à Calais. Nous avions déjà deux frères Georges et Etienne nés de l’union de Maman et beau-papa, nous avions à nouveau une famille. Maman a encore mis au monde cinq enfants. Nous n’étions pas fortunés. Beau-papa était peintre décorateur, le travail se faisait rare et il n’était pas en bonne santé. Maman était dépensière, elle avait été habituée à vivre dans un certain luxe et les restrictions lui étaient insupportables ».

 Elle but une gorgée, réajusta sa couverture. Ses yeux s’étaient emplis de tristesse. 

« J’avais 16 ans quand ma petite sœur Rose est morte, elle n’avait que 6 ans la pauvre enfant, emportée par une mauvaise fièvre. Nous étions tous effondrés. Pauvre petite Rose ! » 

La pâleur avait quitté ses joues, un doux sourire illumine son visage.

« Cette année-là, j’ai aussi connu le bonheur. J’ai rencontré mon Léon un grand et beau jeune homme d’1mètre 70, un blond aux yeux bleus. Ce fut tout de suite le coup de foudre. Mon bon Léon, mon beau Léon ! Nous nous sommes mariés le 27 octobre 1885 à Zutkerque là où nous habitions pour le moment. Maman avait la bougeotte : Calais, puis Louches, puis Zutkerque, puis Balinghem pour retourner à Calais. Léon et moi avons vécu un moment avec ses parents. Ce n’est pas l’idéal pour un jeune couple mais c’est la vie ! J’ai eu deux beaux enfants Franck et Hélène. Pour Hélène, j’ai accouché chez mes parents, mon Léon travaillait à Calais, il nous cherchait un chez nous, une petite maison rue du Midi et c’est là que mon tout petit mon bébé est mort d’une pneumonie à tout juste onze ans. » 

Elle se tut essayant de refouler ses larmes toutes proches. Elle prit une grande inspiration et repris.

« Mon Hélène se maria a un brave garçon de Guînes Henri CHOCHOY en mars 1908. Ils nous ont donné trois merveilleux petits-enfants : Emile en 1909, Maud en 1910 et Emilienne en 1920. Mon gendre parti en guerre en aout 1914 mais fut réformé en 1917 : un problème au poumon gauche à ce qu’il me semble. Il est mort en 1932 laissant Hélène seule avec mes deux princesses. Les années passent la faucheuse œuvre, beau-papa est décédé en 1904, maman en 1909. Bon an mal an nous avons encore vécu de belles années jusqu’à ce 11 mars 1944, où mon Léon m’a quitté. Oui, la seconde guerre mondiale faisait rage mais à nos âges nous ne pouvions qu’attendre des jours meilleurs, ils ne sont pas venus, il est mort. Ma fille, mes petites filles, son gendre m’ont entouré de tout leur amour. Le chagrin s’est estompé laissant place aux souvenirs, cela fait onze ans, onze longues années que je lui survis. Je sens que ma fin est proche, je n’ai plus faim, le froid engourdit mes membres malgré la chaleur mais mon cœur est paisible, je vais rejoindre mon amour et tous les miens ». 

Plus une parole, je m’approche, Maud s’est assoupie. Je dépose un baiser sur son front, je lui laisse un petit mot et je referme doucement la porte.

J’ajuste mon manteau, il fait frais, je me dirige vers l’arrêt de bus le cœur lourd mais heureuse de pouvoir exaucer le vœu de cette grande dame.

Francis et Maud sont le frère et la sœur Utérins de Georges LE PETIT le grand père de Catherine

Maud s’est éteinte le 13 avril 1955.

7 réflexions au sujet de “Maud la petite anglaise”

Laisser un commentaire