Pauline, mon petit ange

Il est 19 heures 30, la sonnette me sort de ma rêverie, je descends vite fait. Sidonie, ma locataire, crante sa porte, me voit et rentre. J’ouvre, Ernest, le facteur m’apporte un télégramme. A cette heure-ci ? !! Il habite le quartier, ça ne le dérangé pas de faire un petit détour et « ça doit être grave » me dit-il.  Je le remercie chaleureusement et remonte. Je stresse, par câble c’est rarement des bonnes nouvelles que l’on reçoit. Je décolle délicatement le plis pour ne pas risquer de le déchirer. Joseph et Célina Le Petit me demandent de venir au plus vite, leur petite Pauline est au plus mal, elle me réclame. Il est trop tard, le dernier omnibus pour Boulogne sur Mer est à 20 heures.

John Snow

Pauline a 6 ans, c’est une adorable petite fille au rire cristallin, à l’intelligence vive. Elle sait qui je suis, J’adore la petite moue et le regard complice qu’elle m’envoie quand sa mère m’interroge sur mon passé, elle sait que je suis née de l’encre d’un stylo plume sur les pages d’un carnet de notes. C’est notre secret. Que lui est-il arrivé ? Cet été est particulièrement frais et pluvieux a-t-elle attrapé froid ? Le choléra ? Non ! ses parents ne m’auraient pas fait venir. Il est arrivé en France en 1848 et frappe encore par vague. De plus, Ils suivent les recommandations du docteur Anglais John Snow : ne pas boire aux fontaines, faire bouillir l’eau, elle transmet la maladie. Je prends un livre et m’installe dans mon fauteuil. Je n’arrive pas à lire, mon esprit est trop occupé. Je mets un disque sur le gramophone, cet appareil, encore inconnu, que j’ai rapporté lors d’un de mes voyages à la fin du siècle, la mélodie ne calme pas mon inquiétude. 21 heures vient de sonner à la pendule, il est encore trop tôt pour se coucher. Je prépare mon sac de voyage, des rechanges pour une nuit. Je vais prendre un bain. Je me glisse dans baignoire. Mes muscles se détendent, je ferme les yeux mais je ne peux m’empêcher de penser à ma petite princesse, à ma petite complice. Je sors, vide la cuve, nettoie, range et vais me coucher.

J’ai peu dormi, le réveil sonne, je me dépêche, je prends ma valise et me dirige vers la gare. Il pleut, le ciel est bas, il fait presque froid. La diligence pour Boulogne sur Mer est prête, quatre chevaux hennissent d’impatience. Je m’installe. Un couple accompagné d’ un garçonnet, deux jeunes hommes et une jeune fille, presqu’une enfant me rejoignent. Le véhicule s’ébranle, Sangatte, Wissant, Audresselles, Wimereux, et enfin Boulogne. Je suis à quelques dizaines de mètres de la vieille ville. En à peine 10 minutes je suis au 14 rue Du Château. Célina parle au curé de la paroisse, elle me voit, court vers moi et s’effondre dans mes bras, son enfant est mort à 5 heures 30 ce matin. Mon cœur se brise en mille morceaux, ma petite complice est partie rejoindre les anges. Nous nous soutenons mutuellement. Joseph et son frère Etienne nous aident à franchir le seuil et à nous assoir. Je demande à voir Pauline. Elle est encore dans sa chambre, je monte. Elle est là, allongée sur son lit, les mains posées sur sa poitrine, son visage est reposé. Je me surprends à lui parler :

« Bonjour ma petite amie,

  • Bonjour Rose.
  • Mais !

Pauline est toujours à la même place mais son âme s’est matérialisée en volutes formant son corps. J’y retrouve même son sourire. Un bien être me réchauffe le cœur et le corps.

  • N’ai pas peur, je suis venue te dire au revoir.
  • Je n’ai pas peur ma chère enfant, si tu savais comme tu vas me manquer ! et à tes parents, à toute ta famille.
  • Je sais Rose, je sais. La semaine dernière, avec mes frères et sœurs, nous sommes allés à la plage. Comme toujours, je n’ai pas écouté et je me suis à peine couverte. Je suis rentrée mouillée jusqu’aux os et transis de froid. Maman m’a séché, frictionné mais je suis tombée malade. J’avais de la fièvre, beaucoup de fièvre, ma poitrine me brulait, j’avais du mal à respirer, je toussais beaucoup. Le médecin n’a pas pu me sauver. Je ne voulais pas partir, je voulais rester avec papa et maman.
  • Je sais mon petit cœur, tu étais trop malade pour guérir. Accepte, pars, tu y retrouveras ton grand père et bien d’autres personnes.
  • J’ai encore un service à te demander ma Rose.
  • Dis-moi, mon enfant.
  • Dis à maman et papa que je les aime, que je suis désolée d’avoir désobéi, que je ne voulais pas les quitter ni mes frères et sœurs. Rose, je dois te laisser, je me sens attirée vers un autre monde. Je t’aime ma grande amie.

Elle s’est approchée de moi, a touché mon visage et a disparu. Je suis envahie par l’émotion je ne peux retenir mes larmes. Elles se déversent en flots constants, allègent mon cœur et me calme. Je rejoins Joseph et Célina au salon. Je leur rappelle l’amour que leur portait leur petite fille, je leur parle de son caractère indépendant qui l’empêchait de toujours obéir, du regret qu’elle a du éprouver de ne pas avoir pris un manteau. Je ne pouvais pas leur expliquer ce qui s’était passé dans l’antre de la fillette.

Je suis restée quatre jours à Boulogne sur Mer, quatre jours éprouvants. La populace pensait au cholera et craignait la contamination. Malgré nos explications, elle nous harcelait . La petite Pauline, Lucie Le Petit a été mise en terre très tôt le matin pour éviter la horde.

Après avoir promis de revenir bientôt, j’ai repris la diligence. Il ne pleut pas mais la température n’atteint pas les 18 degrés. Le front contre la vitre, je regarde la mer. De temps en temps, le soleil arrive à percer les nuages, ces rayons dessinent une voie argentée entre le ciel et le gris vert de l’eau. J’ai l’impression qu’il me suffirait de marcher sur ce chemin pour rejoindre ma petite amie.

Pauline, Lucie LE PETIT est née le 18 février 1846 et est décédée le 30 août 1854. Le monde subissait sa troisième épidémie de Choléra. Il est arrivé d’Angleterre en 1848 et a dévasté la France faisant des milliers de morts. Il faudra encore des décennies pour se rendre compte qu’il suffit d’une bonne hygiène pour éviter ce basile. Sporadiquement, il réapparait dans les régions pauvres du monde. Maintenant, nous savons le soigner.

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