Un dimanche au bord de l’eau

Par Mademoiselle Rose

Dimanche 13 juillet 1924, Marguerite BOURGEOIS et toutes les petites mains de l’atelier de finition partent passer la journée au Lac d’Ardres à quelques kilomètres de Calais. Elles ont pris le train « Calais – Envin » et se sont arrêtées dans la petite gare d’Ardres. Quelques Messieurs se sont glissés dans les voitures. Chacun et chacune ont apporté nourritures et boissons. Léon, l’homme à tout faire, a emmené son gramophone et quelques disques, Jules, le contre maître des remonteurs, a pris son accordéon. Que ne feraient pas ces messieurs pour plaire à la gente féminine ! Arrivés, ils ont quelques centaines de mètres à faire. Toute la joyeuse troupe emboite le pas. Le temps est magnifique, une petite brise légère fait frissonner la surface miroitante du lac et frémir les branches des arbres. Le ciel n’est strié que de quelques nuages innocents, les oiseaux chantent mais plus pour longtemps. Les rires, les chansons vont les chasser vers un lieu plus calme. La petite Eugénie a le béguin pour Léon. Il n’est pas bien beau le Léon mais il est brave et a toujours le sourire aux lèvres. Jules, quant à lui, est un trousseur de jupons et il espère trouver une fille pas trop farouche. Raymond, Edouard, Hyppolite font aussi parti du voyage

Marguerite, Léonie et Raymonde déplient de grandes couvertures sur le sol, les victuailles sont placées au centre et chacun se trouve une place. Léon, d’un coup de manivelle mets le gramophone en marche, Jules empoigne son accordéon, Marie Catherine, petit bout de femme effacée et timide sort un harmonica de sa poche et étonne par son savoir faire.

Et si nous faisions une petite friture ? propose la grande Sidonie. Elle doit être de la famille de ma voisine. A l’expédition, elle range, emballe et porte autant qu’un homme. Aujourd’hui, elle nous sors de sa jupe une petite canne à pêche qu’elle déplie, une petite boite pleine de vers. Sitôt dit, sitôt fait, notre Sidonie attrape son premier poisson.

Le gramophone emplit l’espace de ses musiques, quelques couples dansent, les dames font virevolter leur jupes en rythme, les messieurs, le canotier sur le côté de la tête emportent leur cavalières et les font sauter au son d’un fox Trott endiablé.

C’est l’heure de déjeuner, tous s’installent au mieux. Pain, saucissons, salades, sandwiches se partagent et sont accompagnés d’un bon verre de vin. Les plaisanteries font rires à gorge déployée certaines et rougir des demoiselles, les plus jeunes. Personne ne parle dentelle aujourd’hui même si ces coquettes arborent toutes une robe, un chemisier, un mouchoir brodés de cette étoffe qui est tout de même leur gagne pain. Les rires décroissent, le chant des oiseaux se fait à nouveau entendre, la fatigue a jeté ce petit monde dans les bras de Morphée.

Le bruissement du vent dans les feuilles, l’odeur douçâtre de l’eau, le clapotis des rames sur l’eau, Marguerite s’endort doucement. Elle se revoit enfant sur ces mêmes berges avec ses frères, sœurs, belles-sœurs et beau-frère. Un dimanche comme celui-ci, un an avant la guerre, un an avant la mort de sa très chère Berthe. Des cris de joie la réveillent, Vite, des barques ont été mises à leur disposition, il faut monter à bord. Les hommes et les femmes les plus fortes rament, les autres jouissent du paysage, de la chaleur. Le temps passe trop vite, il est temps de tout ranger, le train n’attend pas.

la gare d’Ardres (62)

Les restent de nourriture, les bouteilles, les instruments de musique sont remis dans les paniers, les couvertures pliées et rangées, la canne à pèche de Sidonie a retrouvé sa place dans ses jupons. Jules fait le tour de la prairie, juste pour voir si rien n’a été oublié, si rien ne vient salir la nature. Toute la troupe fait le chemin en sens inverse, elle parle, rit beaucoup et fait se retourner les braves gens du coin. Le train est en gare, il est temps de regagner son foyer. Arrivé à Calais, des « bonnes soirées à demain » sont échangés, quelques bises entre copines et peut-être un baiser coquin entre Eugénie et Léon ? ! ! Je m’approche de Marguerite, elle fête ses 22 ans dans quelques jours, elle répond à mon bonjour par un grand sourire. Je me suis mêlée à leur joyeuse troupe toute la journée, elle m’a donc jaugée. Elle m’attrape le bras et m’emmène dans le café de la gare, elle regarde autour d’elle avant de s’assoir et nous commandons une citronnade bien fraîche.

Etes-vous inquiète Marguerite ?

Non, pas vraiment mais ma sœur aînée Léonie, gardienne des bonnes mœurs, ne me permet rien de peur que je perde ma vertu par un simple regard insistant.

Elle éclate de rire et a du mal à retrouver son calme. Son rire et communicatif, les sourires se font de plus en plus nombreux autour de nous. Il y a quelques jours, elle s’est fait couper les cheveux, elle m’explique avec maintes détails comment sa mère, Léonie et Alice lui sont tombées dessus à bras raccourcis, la chevelure est un atout féminin qu’il ne faut pas abimer. D’un geste de la main son père stoppe la dispute, il pardonne tout à sa petite dernière.

La citronnade à peine bue, elle part rejoindre les siens. C’est une jeune fille pleine de vie. Elle court, saute dans le tramway, me fait un signe de la main et disparaît.

J’ai apprécié cette journée en compagnie de ces hommes et femmes, la bonne humeur de ces ouvriers, les plaisirs simples et leur bonhommie. Marguerite, la grand mère de Catherine, m’a particulièrement plu avec sa franchise et sa bonne humeur. Je n’oublierai pas ce dimanche au bord de l’eau.

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