Un dimanche de fiançailles

Charles le jardinier m’a invité aux fiançailles de son fils aîné Charles POINTEZ et de la demoiselle Catherine CHOVAUX ce dimanche 20 juillet 1856. Comme il se doit, l’évènement se déroulera chez Charles et Geneviève, les parents du fiancé. Seront invité Charles et Marie-Anne CHOVAUX, les parents de la fiancée, Les parrains et marraines.

Un orage nous a surpris en ce début d’après-midi. Zeus a pris possession du ciel et de la terre. De son sceptre, il fait jaillir des éclairs dans un ciel devenu bleu nuit. Le grondement apocalyptique du tonnerre effraie bêtes et gens. Des trombes d’eau se déversent dans les rues, les jardins, les potagers. Une boue collante et glissante envahie tout sur son passage. C’est la débandade, chacun cherche un endroit pour se protéger. Je suis à l’abri dans un cabriolet. Le cocher m’aide à descendre, j’attrape les pans de ma jupe, et les protège tant bien que mal. Geneviève m’ouvre, je passe sous son bras qui maintient la porte. Vite, elle referme. Charles me présente à l’assemblée. J’offre à la promise quelques mètres de dentelle fine et élégamment brodée, elle pourra en orner sa robe de mariée. Un sourire vient illuminer son visage. Ne t’inquiète pas jeune fille, Zeus est en colère mais Héra veille sur vous deux.

La conversation est animée, les parents discutent du mariage, chacun a son idée sur la question. Où se déroulera la cérémonie ? Sous l’auvent dans la ferme de l’oncle Henri, bonne idée mais la ferme se situe à plus de 10 kilomètres, et les vieux, ils font comment ? Pas de souci, la charrette d’Antoine fera l’affaire. Quelques seaux d’eau, du savon, des bras vaillants et elle sera rutilante. Qui inviter ? la liste se fait et se défait au rythme des animosités et des ententes. L’argent, oui l’argent le nerf de la guerre, les parents se réservent le droit d’en parler entre eux. Mais, si l’un ou l’autre est prêt à participer en bon argent ou en produits alimentaires, pas de soucis.

Je me suis éloignée avec les fiancés. Charles et Catherine m’expliquent qu’ils se sont connus à la fabrique. Charles est remonteur* et Catherine est wheeleuse*. Ce la fait quelques années qu’ils se connaissent, qu’ils se courtisent mais, chacun de leur côté, ils ont promis à leurs parents de ne se marier que lorsque leur départ ne plongera pas la famille dans une la misère. Ils sont sérieux, quelques baisers échangés, quelques caresses mais rien de plus. Ils se réservent pour la nuit de noce. Ils parlent à voix basse, ils se regardent, leurs mains se rencontrent se touchent. Catherine à presque la tête posée sur l’épaule de Charles, ils sont attendrissants. Comme tout un chacun, ils veulent une maison, des enfants. Catherine continuera à travailler mais de chez elle, elle pourra être écailleuse, effileuse ou raccommodeuse. Charles veut être tulliste, il travaillera à la pièce. Plus il en fera plus il gagnera. Il faut qu’il apprenne. Tous les soirs après sa journée de travail, il rejoint un tulliste qui lui montre les rudiments du métier. Je les laisse à leurs projets d’avenir. Je rejoins Geneviève dans la cuisine, nous discutons un long moment. Le proche départ de son ainée lui brise le cœur mais elle connait la valeur de son futur gendre, elle est rassurée. Je vais les laisser en famille. Le cocher vient me prendre dans une demi-heure. J’ai juste le temps de prendre congé. Charles, le père de Catherine est peintre en bâtiment, il m’offre de repeindre mon immeuble à un prix bien moins élevé que celui de ses concurrents. Marie-Anne vient de lui envoyer un coup de coude dans les côtes « Tu exagères » lui dit-elle les sourcils froncés par la gêne. Poliment, je lui demande un temps de réflexion. Un coup à la porte me fait savoir que ma voiture est avancée. Encore quelques mains serrées, quelques accolades et je sors.

Zeus s’est calmé, de lourds nuages traversent encore le ciel mais ils ne font que passer. Le jour a repris le dessus, le soleil n’ose pas encore se montrer, il laisse échapper une rai vite engloutie par un cumulus. Les habitants ont sorti seaux d’eau, pelles et nettoient la rue. Charles POINTEZ sort, ses voisins le renvoient à ses invités. « Merci les gars, à charge de revanche ! ». Le cocher fait claquer son fouet, le cheval s’élance en éclaboussant les riverains. Rue de l’Egalité, rue Lafayette, rue Gambetta, je sors la tête par la fenêtre et m’adresse au conducteur « quelques sous de plus pour me conduire à la plage et pour m’y attendre un quart d’heure, moins s’il pleut », « pas de souci ma petite demoiselle ».

Quand le ciel est encore chafouin, la mer prend des couleurs d’encre, d’indigo, de charrette, de gris de lin.  Mêlées par la houle, elles viennent se déliter sur le sable. Le vent, un moment sage, reprend de la vigueur, il rafraîchi l’air. Un dernier regard et je me dirige vers la calèche, encore quelques centaines de mètres et je suis chez moi. De grosses gouttes recommencent à tomber, j’ai juste le temps de payer mon chauffeur et de m’engouffrer dans le hall, la pluie retombe de plus belle.

Charles et Catherine se sont mariés le 30 juin 1857.

*La Weeleuse et le Remonteur : métiers de la dentelle

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