Watson Waterman

Nom WATERMAN prénom stylo-plume

Une vendeuse me sort du présentoir d’un magasin spécialisé de Calais, deux adolescents Magalie 17 et son frère Manuel 15 ans m’achètent pour m’offrir à leur mère. Nous sommes en mai 2002.

Le jour de la fête des mères, Catherine ma propriétaire ouvre mon coffret. Je me souviendrai toute ma vie de stylo-plume des émotions qui ont parcouru son visage :

L’admiration !

– « eh ! je suis un WATERMAN, pardonnez-moi du peu, ma plume est en plaqué or, je suis doré de partout « .

La joie ! Ses petits ont fait un choix selon ses goûts et non les leurs.

–  « Petits ? mais ils sont grands ! bizarre ces humains » 

Mais aussi de l’inquiétude, Combien ses enfants ont-ils dépensé ? Ont-ils pensé à multiplier par 6,55957 pour avoir le montant en Francs ?

– « Et non, je vaux 80 Euros donc 525 Francs ! 

–  « Mais où ai-je appris à déceler les sentiments humains ? ». 

Le frère et la sœur se sont regardés, ont souri et Manuel a dit à sa mère : « tu es soigneuse Maman, dans 20 ans tu l’auras encore ».

J’ai le droit à une place de choix dans sa vie, je ne la quitte plus, je dois être constamment rechargé. Il y a une expression que j’aime bien mais qui fait grincer mon plaqué-or « tu as une descente que je n’aimerai pas monter à vélo », je me vulgarise. Catherine avait repris ses études. En juin, les dernières unités de valeurs à passer pour obtenir son diplôme. Je ne compte plus le nombre de feuilles que j’ai noirci, des réveils nocturnes où vite, elle me sort de ma torpeur pour noter une formule comptable, une idée pour sa prochaine dissertation.  

Ses larmes diluent mon encre, son père vient de mourir, elle écrit le texte pour l’enterrement. Nous sommes le 30 septembre.

Je l’accompagne au bureau maintenant, elle sort ses griffes quand un collègue veut m’utiliser, elle lui explique qu’étant gauchère, elle me tient d’une certaine façon et qu’un droitier pourrait déformer ma plume. Non mais, on ne touche pas à ma plume… Bien sûr, elle utilise un clavier d’ordinateur mais il ne me fait pas concurrence, je suis toujours le premier à connaître ses idées, à ébaucher une lettre, un CV pour un demandeur d’emploi.

Février 2014, Magalie me mets dans une boîte près d’une paire de bottines. Pourquoi ce désamour ? Bottines et moi rejoignons un tas impressionnant de cartons de toutes tailles. Quelques semaines plus tard, nous sommes encore une fois déplacés, le sol bouge, le bruit. Que nous arrives-t-il ? Quelques heures plus tard, le silence, enfin. Des mains attrapent notre prison, bottines et moi espérons être libérées. Que nenni ! Notre prison est posée. Quelques mois plus tard, la boite s’ouvre. Bottines sont sorties les premières, je me retrouve éjecté d’un côté à l’autre du carton, Catherine m’aperçoit, son sourire me fait oublier les mois passés en compagnies des demoiselles. Je retrouve ma place sur le bureau dans une autre ville, Clermont Ferrand.

Je fonctionne beaucoup moins bien, Catherine est déçue. Je reste dans le porte crayon, notre amitié est trop importante pour que je sois jeté.

Juin 2021, Catherine a une illumination, elle cherche sur Google, vous savez-bien, la machine qui remplace les livres, l’écriture à la plume, oui lui ! il lui a expliqué comment me réparer. C’est tout simple : me faire tremper toute une nuit. L’eau dissout l’encre qui bouche ma précieuse plume. Ma propriétaire est aux anges. Je rejoins ses carnets de généalogie. Je sais que je ne noircirais plus des pages comme avant, l’arthrose prive ma propriétaire de l’agilité de ses poignets. Je m’en moque, je note chaque jour, ses trouvailles, ses envies, ses projets. Je reste le premier moi le stylo plume WATERMAN.

Manuel avait raison, j’ai 19 ans.

Je suis vieux, bien trop vieux, l’accalmie a été de courte durée. Je crachote ou je sèche, mes courbes et mes déliés ont perdu de leur prestance, je suis fini. Je n’ai pas été jeté comme un vulgaire stylo, je trône dans le pot à crayon. Monsieur crayon de bois (eh oui, je suis natif du Nord), Madame gomme, ces messieurs Stabilo et ce minable petit stylo Reynold à la pointe numéro 5 n’ont qu’à bien se tenir, c’est moi le chef !

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