William le yankie

Je viens d’arriver à Boston Massachussetts après près de deux semaines de voyages. Je suis partie de Calais le 5 novembre, j’ai pris le bateau l’Europa le 7, je suis arrivée à New York le 17 et le 18 en fin de journée à Boston. Je me suis installée dans un petit hôtel pas loin de l’immeuble où William LE PETIT est concierge. Je me suis plongée dans un bain bien chaud pour apaiser mon corps meurtri par un si long voyage. La ville est immense, bruyante. J’ai peur de m’y perdre, je vais me reposer. Mon fauteuil me manque, mon appartement me manque. En cette époque, les meubles sont rectilignes, inconfortables, les couleurs sont atrocement vives. Je descends prendre mon repas. Dans le restaurant, un pianiste joue un morceau de Jazz. Le maître d’hôtel l’a à l’œil. Cet artiste vit sa musique et transmet à son piano son humeur du jour. Le choix du repas est suffisamment varié pour que je n’aie pas à goûter à cette nouvelle cuisine dite rapide. J’ai un peu de mal à comprendre le serveur. Son accent et ses expressions sont à mille lieues de la langue anglaise. Je reste un moment dans le petit salon adjacent pour écouter le musicien. La fatigue se fait sentir, je remonte me coucher. Demain, Je dois rencontrer William et Marguerite LE PETIT à 13h30.

Il est 13h20, je me dirige vers cette bâtisse du XVIIIe siècle où vivent des familles de la bonne société. Sur le pas de la porte, une femme d’une quarantaine d’année fait le pied de grue. Je m’approche, elle me sourit et dit dans un Français qui me ravit :

« Mademoiselle Rose ?

  • Oui, c’est bien moi. Bonjour Madame LE PETIT, comment allez-vous ?
  • Bien, je vous remercie.
  • N’avez-vous pas trop de mal avec la langue ?
  • Non, grâce à ma fille Marguerite interprète, j’ai appris l’Anglais. Entrez, mon mari ne va pas tarder à nous rejoindre.

La loge est petite mais bien meublée. Marguerite, prépare le café. Une jeune femme, sort d’une pièce, me lance un « bonjour », embrasse le front de mon hôte et se sauve.

  • C’est mon aînée, Raymonde ! Elle travaille dans un grand magasin, elle est vendeuse. C’est un esprit libre, pas mariée, elle désire mener sa vie comme elle l’entend. Dans ce pays c’est beaucoup plus facile.

Marguerite me sert une grande tasse de café brulant. Ce petit goût si particulier de chicorée nous ramène dans notre région natale. Marguerite est nostalgique, sa famille lui manque mais elle a fait ce choix pour le plus grand bonheur de son mari. Au même instant, il franchit la porte. Son épouse lui sert son café et part vers les étages. L’ouvrage l’attend.

  • Bonjour Mademoiselle Rose, avez-vous fait bon voyage ?
  • Bonjour Monsieur LE PETIT.  Oui, j’ai eu de la chance, il n’y a pas eu de gros temps. Par curiosité, A New York, je me suis rendue à l’adresse où votre père est né.
  • Je n’ai que très peu connu mes grands-parents, j’étais enfant quand ils sont décédés.
  • Alors, d’où vient cette amour pour les Etats Unis ?
  • J’ai fait mon armée dans la marine. Je me suis engagé à 18 ans. J’étais en poste à Toulon. De 1918 à 1921 nous avons rapatrié des soldats Américains. J’ai donc eu le plaisir de voir ce pays à plusieurs reprises. Un de ces soldats, de quelques années mon ainé m’a fait visiter cette région qui m’a tout de suite plu. J’aimais et j’aime toujours le dynamisme de cette ville et de ses habitants. Je me suis installé à Calais en 1921 avec ma femme et ma fille, j’étais quartier maitre électricien à l’armée et contrôleur de train à mon retour à la vie civile. J’ai eu deux autres filles Susan en 1922 et Marguerite en 1924. Je menais mon petit bonhomme de chemin mais je n’étais pas heureux. Marguerite s’en est vite aperçut, je lui avais déjà parlé de mes voyages, de l’Amérique mais sans entrer dans les détails. Là, je lui ai parlé de mon attachement pour ce pays, pour le Massachussetts.
  • Comment a-t-elle réagi ?
  • Sur le moment, elle n’a rien dit. Elle réfléchissait. Elle savait que je continuer à correspondre avec Carl mon ami de Boston, elle a voulu en savoir plus sur cette ville, sur les Américains, leur façon de vivre. Je l’ai vu disparaitre des journées entières sans savoir où elle allait. Quand je lui posais la question, elle me souriait et me disait « patience ».
  • Que mijotait-elle ?
  • Un soir après avoir mis les filles au lit, elle me demanda de la rejoindre dans la salle à manger. Sur la table étaient disposés des papiers. De la documentation sur le Massachussetts et Boston, sa correspondance avec Carl.
  • Votre femme parlait déjà Anglais ?
  • Non, comme vous le savez, il y a beaucoup d’Anglais installés à Calais. Il lui a été facile de faire traduire ses missives en Anglais et celles de James en Français. Donc, dans ces courriers, elle demandait des renseignements sur les écoles, le prix de l’éducation etc. Il y avait également, sur une grande feuille, une addition vertigineuse : prix des passeports, du voyage pour cinq personnes, la location d’un appartement, l’inscription des filles à l’école. Cette liste n’en finissait pas. Mon rêve ne restera qu’un rêve.
  • Vous avez dû être déçu ?
  • Pas longtemps ! Il y avait une autre feuille avec une autre addition : les économies réalisables chaque année. Près de vingt ans à attendre. Mais durant ces vingt années, les filles auront fait leur scolarité, elles seraient peut-être même mariées. Raymonde et Susan ont appris le métier de vendeuse, Marguerite plus douée pour les études est devenue interprète.
  • Votre rêve a pu se réaliser. Comment s’est passé la dernière année en France ?
  • Nous nous sommes installés dans la maison de famille de Marguerite à Valenciennes pour économiser le loyer. Nous sommes arrivés à New York le 22 août de l’année dernière avec Raymonde. Carl nous a trouvé ce travail.  Marguerite ma fille est installée à Boston depuis quatre ans mais elle voyage beaucoup entre la France, l’Angleterre et l’Amérique. Elle est demandée partout.
  • Susan et son mari Jean ROGUZAC nous rejoindront l’année prochaine.
  • Etes-vous heureux Monsieur LE PETIT ?
  • Oui ! Et pas seulement moi. Nous comptons demander la nationalité Américaine.
  • Merci pour ce témoignage, dès mon retour à l’hôtel, je vais m’atteler à son écriture.
  • Prenez votre temps Mademoiselle Rose, visitez cette ville et ses alentours. Je vous ai trouvé un guide. Mon ami Carl vous accompagnera avec un grand plaisir.
  • Merci Monsieur LE PETIT. Je suis enchantée d’avoir pu vous rencontrer. Je vous souhaite une belle et longue vie dans ce pays.
  • Merci Mademoiselle Rose, nous nous reverrons avant votre départ.

J’ai regagné mon hôtel, bizarrement, le bruit, la bousculade m’étaient moins pénibles. Je vais attendre avec impatience ce Monsieur qui va me faire visiter cette métropole.

Ce texte sort de mon imagination. Je n’ai pas assez de documents pour relater des faits réels. J’ai contacté mes cousins américains. Vont-ils me répondre ?

William Jérémy Léon LE PETIT est décédé en 1989. Sa femme Marie Marguerite née HUREZ en 1986. Leur fille Raymonde est décédée en 1971, Susan en 1999. Pour la dernière Marguerite il me faut encore chercher.

2 réflexions au sujet de “William le yankie”

  1. Comme c’est émouvant, j’espère que tu auras des nouvelles du cousin Anglais. Je ne suis pas certaine que Raymonde fut très à l’aise à Boston, les gens y sont ridiges et très vieille angleterre

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